jeudi 1 septembre 2016

Être punk en danse contemporaine | par Sylvain Verstricht

« Toi qui aimes les spectacles fuckés, ça risque de te plaire... »

Cette personne, alors en charge des communications pour le Festival TransAmériques, me parlait de Golpe de Tammy Forsythe. C’était en 2010.
Est-ce que ça m’a plu ? Ce n’est pas le mot que j’utiliserais.
Est-ce que j’y pense encore six ans plus tard ? Clairement.
Si on me demandait des centaines de spectacles de danse que j’ai vus lequel sort le plus du lot,
je répondrais Golpe.


Dès l’entrée en salle, il y avait quelque chose de différent. La scénographie était chargée et, contrairement à la plupart des spectacles professionnels, révélait une esthétique DIY. Je me souviens principalement de coussins anorexiques d’un rouge éclatant visiblement cousus à la main et suspendus au plafond, de gros « A » entourés d’un cercle : Anarchie.

Les trois danseuses (Forsythe, Gelymar Sanchez et Siôned Watkins) ont fait leur entrée de manière désinvolte. Il y avait aussi un homme. Il ne portait pas de chandail et on ne pouvait voir son visage : il avait une boîte sur la tête avec des rubans ou des fils de laine pour cheveux. C’était le batteur. Parce qu’il y avait un batteur. Et un groupe hardcore punk. [Par hasard, j’ai eu la chance d’apercevoir Forsythe performer avec le groupe WE R DYING 2 KILL U trois ans plus tard aux Katacombes, où j’ai retrouvé l’énergie qui m’avait tant plu dans Golpe.]

Il y avait des projections vidéo, chose commune en danse, sauf qu’ici le lecteur DVD ou peut-être même VHS était sur scène et ce sont les interprètes qui le contrôlaient. Sur l’écran, on pouvait même voir le « PLAY » et le « STOP » affichés. Rien n’était peaufiné.

Une professeure qui était aussi danseuse nous avait parlé d’un chorégraphe qui avait dit : « Le problème avec les danseurs, c’est qu’ils ne savent pas marcher. » C’est-à-dire marcher comme un non-danseur. On peut souvent identifier les danseurs à leur posture. Dans Golpe, les danseuses savaient marcher. Il y avait une section où elles avançaient vers le public et soulevaient une danseuse devant elles à bout de bras, seulement elles exécutaient ces portées comme si elles s’en foutaient complètement. J’aimais cette rafraîchissante qualité de performance que je n’avais jamais vue dans un spectacle de danse mais seulement dans des concerts punk, une qualité que j’ai retrouvée ces dernières années dans les performances de Gashrat.
Siôned Watkins dans Golpe de Tammy Forsythe | Crédit : Juan Saez

Le tableau qui m’a toutefois le plus marqué est celui où les danseuses sautillaient façon jumping jack sur des petits tapis, comme des enfants, les tapis glissant contre le plancher leur permettant de tournoyer tout en chantonnant « 9-1-1 was an inside job! » Jamais je n’aurais cru être témoin d’une telle scène à l’Agora de la danse !

And that’s the point.

Lorsque les gens me demandent pourquoi j’aime la danse contemporaine, je leur dis que, quand je vais voir un film, après les cinq premières minutes, je comprends ce que le film fait et que les deux heures suivantes consistent tout simplement à regarder ce que j’ai déjà saisi se dérouler. Toutefois, lorsque je vais voir un (bon) spectacle de danse, j’ai l’impression qu’à n’importe quel moment tout peut arriver. Forsythe m’a démontré que ceci n’était pas tout à fait vrai puisque Golpe ne faisait même pas partie de ce « tout » que j’avais jusqu’alors anticipé.

Il y avait la danse contemporaine ici                                      et il y avait Golpe là.

Forsythe était tellement loin de la danse que j’avais l’habitude de voir que tout à coup elle me faisait voir le carcan de celle-ci. Ne parlant que de musique, dans combien de spectacles de danse avais-je pu entendre Chopin ou Nina Simone? Pourquoi pas du punk hardcore? Golpe m’a laissé entrevoir ce que la danse contemporaine a de bourgeois. C’est grâce à ce spectacle que j’entretiens l’espoir de voir un jour un de mes fantasmes de danse se réaliser : un spectacle black metal, une musique qui me semble tellement riche pour la danse et que je n’ai pourtant jamais entendue dans ce contexte. [Christian Rizzo est passé près avec ses deux batteurs dans D’après une histoire vraie et Nancy Gloutnez a utilisé du métal au début de Débile Métal, avant la performance elle-même, mais c’est tout. Je demeure toutefois conscient qu’un fantasme réalisé s’avère souvent décevant.]

Même un des nombreux détracteurs du spectacle avait écrit dans sa critique « J’ignorais qu’on pouvait être punk en danse contemporaine. » Il me semble que, même si c’était tout ce que Golpe avait fait, c’est déjà beaucoup plus que la grande majorité des spectacles de danse.

Crédit : Terrence Mcgee

Pendant tout le spectacle je me suis senti mal à l’aise à cause de sa con/frontalité particulièrement punk. Je pensais à l’artiste de Toronto Darren O’Donnell; dans son livre Social Acupuncture, il écrit que le confort est apolitique puisqu’il dénote une absence de changement et que, si nous désirons des changements politiques, nous devons être prêts à confronter l’inconfort. Pour cette raison, je considère Golpe une œuvre politique; non pas à cause de son contenu, mais à cause de sa forme.

À la sortie, des critiques et des artistes ont parlé du spectacle pendant 45 minutes, une expérience que je n’avais jamais eue avant et qui ne s’est jamais répétée depuis. Une critique s’est exclamée que c’était le pire spectacle de l’année. Je maintiens que le pire spectacle de l’année n’engendre pas une conversation de 45 minutes. Le pire spectacle de l’année n’engendre rien. On n’en parle pas. C’est le spectacle qu’on oublie aussitôt sorti de la salle.

De plus, alors que les commentaires de lecteurs se font rares sur les blogues de danse, deux personnes ont pris le temps de commenter ma critique, pour une moyenne de plus de 500 mots chaque. C’est comme si elles avaient elles-mêmes écrit leur propre critique !

Une autre critique plus conciliante a déclaré que peut-être une autre salle de spectacle aurait été plus appropriée. « Pourquoi? » ai-je demandé. « Parce que l’Agora est trop bourgeois pour un spectacle punk? » Non, m’a-t-elle répondu, mais elle n’a jamais clarifié ses propos.
Golpe a été perçu par certains comme étant le pire spectacle de l’année parce qu’il est extrême. Et c’est précisément parce qu’il est dans l’extrême qu’il est tout aussi probable que c’était en fait le meilleur spectacle de l’année.
Sylvain Verstricht

À propos de Golpe :
La critique de Sylvain Verstricht rédigée sur Indyish.com en 2010
Golpe ou l'anarchie personnifiée par Émilie Plante le 9 juin 2010 sur Pieuvre.ca
Critique sur dfdanse rédigée le 14 juin 2010 par Marion Gerbier

Sylvain Verstricht est diplômé de la maîtrise en études cinématographiques de l'Université Concordia. Depuis plus de dix ans, il écrit sur la danse. En 2011, il fonde son propre blogue, LocalGestures. Depuis 2013, il jongle avec les rôles de chroniqueur, réalisateur, metteur en ondes et animateur à CIBL 101,5 FM. Ses nouvelles ont été publiées dans Headlight, Cactus Heart, et Birkensnake.