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vendredi 12 février 2016

L'après-midi d'une nymphe : entrevue avec Enora Rivière

Le 29 mai 1912, Nijinski présente sa première œuvre chorégraphique au Théâtre des Champs-Élysées à Paris. Un an avant Le Sacre du printemps, la pièce divise d’un côté les partisans du Figaro sous la houlette de Gaston Calmette qui crie au scandale et, de l’autre, des artistes comme Auguste Rodin dans Le Matin ou Jean Cocteau, qui décèlent dans cette œuvre les prémices d’une modernité radicale. L’après-midi d’un faune est ainsi entré dans la légende, bien qu'il ne nous reste que très peu d’informations sur cette chorégraphie.

Outre le rôle du faune qui n’a pas fini d’inspirer, six petites nymphes, couramment baptisées les « nymphettes », accompagnent la grande nymphe. Enora Rivière incarnait la nymphe numéro cinq lors de la reconstitution du Prélude à l’après-midi d’un faune de Nijinski par le Quatuor Knust dans « ...d’un faune (éclats)», présenté en février 2000 au Centre Georges Pompidou à Paris.

L' Après-midi d'un Faune (1912) - Baron Adolf de Meyer
Autour de la question de la reconstitution, le Quatuor Knust a mené dans cette pièce une réflexion sur le thème de la mémoire. Ce travail s’est effectué à partir des traces et des témoignages recueillis, non seulement autour du ballet mythique de Nijinski, mais aussi à travers les propres souvenirs des interprètes, autour de l’histoire de la danse, de la mémoire collective, de la mémoire individuelle d’un danseur et de la mémoire des corps.

Quel est le premier souvenir qui te vient à l’esprit à propos de cette pièce ?

L’Après-midi d’un Faune (1912)
Baron Adolph de Meyer
Une improvisation de Jennifer Lacey à laquelle j’ai assisté, sur le thème de la nymphe, et qui s’est appelé, à la suite de cette séquence, « Le presque rien de la nymphe ». Un jour, Jennifer précisa que la nymphe représentait pour elle quelque chose d’immatériel. Elle trouvait cela assez post-féministe de donner un corps à la nymphe. Elle n’adhérait pas du tout à ce genre de théorie. Pour elle, c’était presque rien. A partir de là, les membres du Quatuor Knust lui ont demandé ce qu’était, pour elle, ce « presque rien ». Cette improvisation – qui n’est d’ailleurs pas sur scène – fut extraordinaire et me bouleversa.

Nous étions en plein mois de décembre, il était environ 17h, dans un studio assez clair et il faisait quasiment nuit. Nous devions être cinq car tous les interprètes ne répétaient pas encore ensemble. Jennifer a commencé une improvisation très lente en portant l’attention sur le soin du corps. Elle avait pris une gorgée d’eau juste avant de commencer, et, petit à petit, elle a laissé l’eau dégouliner le long de son épaule et couler le long de son corps pour arriver au sol. Elle a récupéré l’eau et l’a re-déposée sur son corps. Elle a travaillé sur la proprioception, sur le contact de l’eau et de la peau, de manière très intime. Je me demande si elle n’avait pas les yeux fermés. Elle a très peu bougé, c’était presque uniquement sur place. C’était une vraie nymphe... « La nymphe au bain ». Elle était très belle, à la fois transparente, comme quelque chose que tu pourrais traverser, et à la fois un poids léger, allégé. C’était très émouvant à voir tout en allant très loin dans la réflexion autour de la nymphe, surtout dans la façon de faire de la proposition verbale, une proposition de corps.

Vaslav Nijinsky et Bronislava Nijinska
L'après-midi d’un Faune
(1912)
Baron Adolph de Meyer
Qu’est-ce que tu te racontes en dansant ?

Il est difficile de se détacher de la partition, et chorégraphique et musicale. A un moment donné, j’ai un regard qui croise le faune et à ce moment-là, il est extrêmement concentré sur ses pas alors que je pars en coulisses en sautillant. Là, l’histoire prend vraiment corps parce qu’il y a un rapport évident avec un autre membre de la pièce. C’est d’ailleurs à travers les relations avec le regard que notre présence est importante pour le faune. En général, lorsqu’il tourne brusquement sa tête dans la direction inverse de celle de son corps, c’est par rapport à notre présence, comme s’il réagissait au moindre de nos déplacements. Ainsi, lorsque les interprètes dansent la version partitionnelle sans les petites nymphes, ils n’ont pas le support physique sur lequel ils projettent habituellement leur regard même si sur la partition, les indications de regard sont quasi inexistantes et relèvent donc de déductions.

Durant le stage proposé par le Quatuor Knust en amont de la création, te souviens-tu d’une de tes improvisations ?

L’Après-midi d’un Faune (1912)
Baron Adolph de Meyer
Il s’agit d’une consigne réutilisée après pour le projet : quel souvenir pouvions-nous avoir du faune ? Quelles traces nous restait-il de cette danse, même si on ne l’avait jamais vue, ou seulement en vidéo, ou encore à partir de photos, d’articles critiques et de textes, par rapport à la musique ou par rapport à Mallarmé ? Les seuls supports visuels qu’on ait du Prélude à l’après-midi d’un faune sont la série de photos réalisée en studio par le baron de Meyer (mais ne représentant pas des postures indiquées sur la partition). En général, le quatuor choisissait deux photos et le but était de réfléchir au passage d’une photo à une autre, trouver un passage entre la posture du début et celle de la fin. Cela devait durer entre une minute et une minute trente et pouvait se concentrer sur des postures. On nous a proposé une photo en gros plan d’une partie de la perruque de la nymphe et la même posture de profil de la même nymphe, mais en pied. Le Quatuor insistait beaucoup sur le fait de ne pas forcément proposer des improvisations en mouvement. Tout était ouvert. La consigne impliquait aussi la contre-consigne, c'est-à-dire que nous pouvions vraiment nous amuser là-dessus. Et pour eux, il était également important de ne pas s’attacher uniquement à la signalétique que peut proposer une photo. Le plus flagrant n’était pas ce qui les intéressait.

Par rapport à ces deux photos où l’on voyait essentiellement la perruque et le dessin de la natte, je me souviens avoir simplement natté mes cheveux, tout doucement, assise de profil. Je voulais juste pointer sur la photo un détail qui, a priori, n’est pas très important, c'est-à-dire la natte de la nymphe. Ne pas se focaliser sur la forme de la position, mais sur le grain, un détail, une matière. De plus, la nymphe renvoie aussi à un soin du corps.

Entrevue avec Enora Rivière, réalisée par Katya Montaignac le 30 avril 2001.

« …d’un faune » (éclats)
Déchiffrage et transmission de la partition : Quatuor Albrecht Knust (Dominique Brun, Anne Collod, Simon Hecquet, Christophe Wavelet)
Danseurs : Boris Charmatz, Emmanuelle Huynh, Jennifer Lacey, Jean-Christophe Paré, Loïc Touzé, Enora Rivière, Tamara Milla-Vigo, Anne Boulanger et trois danseuses du conservatoire de Caen
Musique : Claude Debussy, Prélude à l’après-midi d’un faune (transcription pour piano seul et diffusion sonore de différentes interprétations du morceau)
Costumes : Sylvie Skinazi, d’après les maquettes de Léon Bakst
Création lumière : Yves Godin
Création les 27 et 28 janvier 2000 au Théâtre de Caen

jeudi 11 février 2016

Atelier #8 - Le danseur : entre interprète, auteur et archive vivante...

Le Sacre du printemps :
une reconstitution de Dominique Brun
Crédit photo : Martin Agyroglo
Depuis le milieu des années 1990, les danseurs sont reconnus  comme co-créateurs dans la plupart des œuvres chorégraphiques. L’objet de l'atelier consistera à discuter des statuts et fonctions pluriels qui sous-tendent le métier de danseur. Par exemple, qu’est-ce que véhicule la notion d’«interprète» régulièrement attachée à la fonction du danseur ? Est-ce une valeur ajoutée ? Qu’est-ce que cette notion implique au niveau sémantique comme au niveau historique ? Il s’agira de questionner ces trois notions – interprète, auteur, archive – autour desquelles s’articule le métier de danseur.  

Atelier proposé par Katya Montaignac en dialogue avec Enora Rivière : lundi 15 février de 18h à 21h
(Possibilité d'assister à des séances à la carte)
Rendez-vous au Département de danse de l'UQAM, 840, rue Cherrier, local K-3105 (métro Sherbrooke - Montréal)
Apportez votre tasse ! :-)

Enora Rivière
Enora Rivière mène conjointement une activité de danseuse et de chercheuse en danse. Elle suit l’enseignement du CNR de Tours, puis la formation ex.e.r.ce en 2002 et mène parallèlement ses études au sein du département danse de l’Université Pris 8 où elle obtient un DEA. Elle travaille avec les chorégraphes Mathilde Monnier, Gilles Jobin, Olivier Dubois, Dominique Brun, Frédéric Schranckenmuller, Mickaël Phelippeau, Maud Lepladec, Séverine Rième, François Chaignaud, Cécillia Bengolea, David Wampach et Gaël Sesboué, Olga de Soto, Aurélien Richard, ou encore Pierre Rigal. Mais aussi avec la plasticienne Marie Reinert, les photographes Bill Durgin et Ludovic Le Couster. Elle poursuit son expérience de danseuse contemporaine tout en mettant en œuvre la réalisation d’un projet de recherche et d’écriture sur la question du discours du danseur sur sa propre pratique. Pour cela, elle obtient en 2006 l’aide aux écritures chorégraphiques, en 2007 la Villa Médicis Hors les murs et part à Rio, au Brésil. À partir d’entretiens menés en studio avec des danseurs interprètes de formation, de culture  et d’âge différents elle publie en 2013 un livre intitulé ob.scène récit fictif  d’une vie de danseur.

Qu’est-ce qu’une vie de danseur ? Peut-on la raconter ?
À travers ce texte rédigé à la première personne, la parole singulière du danseur devient voix collective avec ses contradictions. Des histoires de corps et de vie, où l’on parle de ce que l’on croit savoir de la danse, de ce que l’on en espère ou en a espéré, de ce que cela signifie passer sa vie à danser... Un questionnement sur le désir de danser et ses désillusions, à travers différents sujets comme le rituel du salut, la représentation, l'engagement dans une "compagnie", la « vocation » ou encore la délicate question du droit d'auteur en danse…


À lire : L'après-midi d'une nymphe : entrevue avec Enora Rivière
+ une entrevue avec Enora Rivière dans Inferno 


Lire aussi : Cogitations sur le travail du danseur par Brice Noeser

+ Quelques paroles de danseurs...