mercredi 25 mai 2016

Laisser voir des humains… | par Frédérick Gravel

Deux shows ont marqué mon parcours (en fait, bien plus que ça, mais si j'essaie de me rappeler ceux qui ont fait la marque la plus profonde, ce serait ceux-là. Ils m'ont attrapé à un moment où j'étais plus jeune, où mon regard était plus neuf).

Pendant les derniers FIND, en 2001 et 2003, j'ai vu pas mal de choses qui m'ont marqué. C'était pendant ma formation à l'UQAM donc j'était très ouvert et très en appétit de voir des artistes de l'étranger, des grandes figures, et aussi de l'avant-garde d'ailleurs.
À la préhistoire de ma vie professionnelle en danse, ces shows ont passé le test du temps.


En 2001 j'ai vu I Said I par la compagnie Rosas. Il y avait des billets dernière minute pour les étudiants (ça revenait à quelque chose comme 5$ et on pouvait avoir les meilleurs billets du théâtre). Je me suis donc retrouvé à la 5e ou 7e rangée, en plein milieu du théâtre, pour voir cette pièce. 2h30 de spectacle : juste ça déjà, ça m'a étonné, cette durée. Je me demandais comment on allait vivre ça. J'ai cru comprendre plus tard que c'était un spectacle auquel on n'avait pas besoin de porter attention constamment, que j'aurais pu partir et revenir mais il faut dire qu'être assis au milieu du Théâtre Maisonneuve, ça formalise ton rapport à l'œuvre... (puisque la sortie est loin). Mais je suis resté très intrigué, j'avais la place du roi.

I Said I (Rosas, 1999)
En fait ce que j'ai préféré de cette œuvre, c'est d'observer comment ses différentes composantes n'étaient pas toujours reliées, comme si chacun pouvait avoir son tour. La musique jouée par le DJ ou le trio qui jouait du Brahms et ou du Beethoven (si je me souviens bien) suffisait déjà comme proposition. Aussi, de terminer le spectacle avec seulement le trio musical, ça m'avait étonné et vraiment charmé. Laisser la chose se terminer par un petit moment de réflexion et de contemplation. Ça me fait toujours un choc quand un spectacle se termine et tout le monde est déjà debout à hurler bravo. J'aime qu'on ait le temps d'y penser. Je pense que c'est un spectacle qui m'a beaucoup allumé par sa forme. Je ne me rappelle pas avoir été renversé, mais très inspiré par la liberté de la mise en scène d'un spectacle même s'il porte l'étiquette « danse ».

Pour le choc esthétique, Meg Stuart remporte la palme. Le FIND a présenté Alibi en 2003, à l'Usine C. Je ne connaissais pas cette chorégraphe à l'époque, et je ne m'attendais à rien. J'ai été un peu secoué, sinon déboussolé, ennuyé parfois, fasciné, exaspéré, amusé. Je ne savais pas trop comment prendre ça. Je n'avais pas une grande expérience de ce genre de travail, j'étais perdu.

En revanche, je me rappelle de plein d'images, de l'énergie que je sentais dans la salle, ce mélange d'appréhension, d'excitation, d'exaspération… Ça doit être le spectacle avec lequel j'ai dialogué le plus longtemps par la suite. Je l'ai digéré petit à petit. Cette façon de faire surgir des personnages sans avoir besoin d'une narration, seulement par un travail sur l'émotion, sur l'effort, sur des états physiques.

C'était clairement une chorégraphie soutenue par l'émotion, et non par une représentation bien maitrisée d'émotions que nous donne souvent à voir l'esthétique chorégraphique. Je me suis senti près des performeurs, de leur humanité. C’est sans doute une des œuvres qui m'a le plus inspiré dans mon travail. Cette idée de laisser voir des humains faire quelque chose, et que cette tâche, cette action faite par ces humains crée l'émotion, n'en est pas seulement la représentation, même si bon, ça n'exclut pas cette possibilité. 

Le travail de Damaged Goods résonnait d'une grande pertinence dans ces années-là et a surtout planté certaines idées chez moi.

Frédérick Gravel
Consulter aussi :
Un article du journal Voir  présentant I Said I en 2001
Un extrait d'Alibi de Meg Stuart

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Merci, votre commentaire a bien été pris en compte.