Tête-à-Tête (2012) de Stéphane Gladyszewski
© Stéphane Gladyszewski
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Bon. Je suis dans
le noir, le visage contre le masque, consciente de mon nez écrasé dans le
plastique, parce que je ne sais pas encore comment le placer, ce nez. Consciente
aussi de mon souffle que je n’entends pas, et qui justement, me semble anormal.
Je cherche du
regard, j’attends. Ça commence tranquillement. J’aime bien le mystère. Je sens
tout de même monter une légère crainte, parce qu’il devient possible que je
sursaute. J’ai le temps de me dire que je n’en ai pas envie, de sursauter. Mais
je suis là, et on verra bien. Et je suis bien, là, dans l’attente.
Tu te rapproches,
tu te donnes à voir. Ta présence est d’un autre temps. Je pense à un Vermeer
qui s’active doucement sous mes yeux.
J’ai trouvé plus
de confort dans le masque, ça va. Je me sens voyeur. C’est étrange, dangereux
et doux à la fois.
Tu te rapproches
encore. Ton visage est devant le mien. Je te regarde. Le son dans les écouteurs
est une distance réelle entre toi et moi. Je me sens protégée et c’est bien.
Peu à peu, je
sais qu’il y a encore du son, mais je n’entends plus rien. Je ne m’en souviens
pas. Il y a ce jeu où j’ai accès à tes yeux. Tout est si calme. Des yeux dans
les miens, directs, mais qui n’attendent rien de moi, pas encore. C’est tout, mais
quelque chose se défait en moi. Je disparais à moi-même. Une part de moi
n’existe plus, mais une autre part devient consciente que maintenant tu me
vois, et que peut-être même tu me vois depuis le début.
Et là, tu
t’échappes. Une main qui flambe, des secousses d’où jaillissent des images de
douleur. Je comprends le jeu de la représentation, j’ai conscience de
l’irréalité du moment, mais un vertige m’a déjà happée et je n’ai plus rien
pour m’accrocher.
Tu reviens, mais
moi, je suis en train de tomber. Ce n’est plus toi devant moi, mais bien moi
devant toi. Mon visage se mêle au tien. Je ne veux pas voir mon visage, mais il
est là, dans le tien. Tes yeux sont pleins de larmes et ce sont les miennes.
MERDE!!!! À ce moment, tu es un autre en moi. Peut-être que, dans ces quelques
minutes, j’ai aussi été une autre en toi? Je ne sais pas, mais cette pensée me
semble essentielle.
Après, tu es cet autre
qui accueille et qui partage. Tu m’as donné, c’est évident. En retour tu as
pris une part de moi. Je ne sors pas indemne. Autant j’ai vu une autre en moi,
autant je me sens vampirisée, mise à nu. Ça m’emmerde royalement – de m’être fait prendre à ton jeu, que tu aies
tenu les rênes de ma dégringolade – et j’aime à la fois.
Mais là
maintenant, j’ai un recul, les heures ont passées, la neige a neigé. L’émotion
brute et viscérale laisse une place à un regard plus empreint de curiosité et
d’humour. Je te salue cher Stéphane et je salue ta sensibilité, ton ingéniosité et ta brillance.
Sophie Corriveau
Sophie Corriveau œuvre dans le milieu de la danse contemporaine en tant
qu’interprète, enseignante, répétitrice et conseillère artistique.
Après une formation à l’École supérieure de danse du Québec, elle débute
sa carrière au Theater Ballet of Canada, puis se joint à Montréal-Danse
de 1989 à 1993. Ces deux compagnies l’amènent à de riches et diverses
rencontres avec plusieurs chorégraphes, dont Natsu Nakajima, Paul-André
Fortier, Daniel Léveillé, Françoise Sullivan et James Kudelka. En 1993,
elle se lie au travail de Danièle Desnoyers et participe à plusieurs
projets du Carré des Lombes au Canada et à l’étranger. À titre
d’interprète indépendante elle travaille aussi auprès de Catherine
Tardif, Manon Oligny, Bill Douglas, Tassy Teekman, Harold Rhéaume, Alain
Francoeur, Sylvain Émard, Jean-Pierre Perreault, Louise Bédard et La 2e Porte à Gauche. En 2011, Sophie se lance dans l’aventure chorégraphique, avec Jusqu’au silence, un solo produit par Danse-Cité à l’Agora de la danse, en collaboration avec son frère, Thomas Corriveau, artiste visuel. Sophie enseigne présentement à L’école de danse contemporaine
de Montréal, et est répétitrice pour Daniel Léveillé danse et Le carré
des Lombes. Elle est la première à bénéficier d'une résidence d'interprète offerte par l'Agora de la danse.
Sophie Corriveau © Alain Lefort |
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