mercredi 4 novembre 2015

Atelier #1 - Les « états de corps » : une philosophie du corps dansant, par Katya Montaignac

Depuis quelques années, l’expression « états de corps » s’est installée dans les studios et le vocabulaire de la danse contemporaine. Nombre de chorégraphes ont intégré ce concept au sein de leur pratique, tant dans leurs créations que dans leur enseignement, privilégiant par là le moteur du mouvement à sa forme. Pour Meg Stuart, ce travail désigne avant tout une manière d’être et d’habiter la danse (On va où là ? 2010, p. 10). Pour Mélanie Demers, l’état de corps « se trahit par un tremblement, un clignement, une hésitation, une secousse ou un mouvement qui n’a pas encore de nom » (Spirale, #242, p. 35). Il s’agit de saisir le geste au cœur de la sensation afin de construire ce qu’Anne-Marie Guilmaine appelle une « dramaturgie des sens » (Spirale, #242, p. 36). Bien que floue, complexe et polymorphe, cette notion relevant de la perception propose une manière singulière d'aborder et d'organiser le mouvement. En quoi modifie-t-elle notre regard sur la danse ?

Une discussion à poursuivre avec Katya Montaignac, lundi 9 novembre 2015, de 18 h à 21 h!


Et pour commencer à alimenter votre réflexion, jetez un oeil à cette vidéo d'une résidence de Jean-Sébastien Lourdais à Circuit-Est centre chorégraphique.



6 commentaires:

  1. Pour donner suite aux discussions stimulantes de ce premier atelier et pour répondre à la demande de Katya, voici une définition spontanée, personnelle et non exhaustive et non définitive des états de corps.

    Susciter ou ressusciter une sensation corporelle liée à un état physique, mental ou émotionnel, la vivre pleinement dans l'instant présent pour la livrer le plus authentiquement possible. Être plutôt que faire ou représenter.

    RépondreSupprimer
  2. Retour sur les « états de corps » selon Meg Stuart (Marion)

    Nous sommes d’accord que la notion d’état de corps, outre la définition claire et élaborée que nous a partagée Fabienne sur le vif, est sans doute généralisable à de nombreuses démarches chorégraphiques. Elle est, pour certaines, tout à fait déterminante du processus créatif, et caractéristique de types d’interprétation particulièrement connectés au moment. Deux termes ont retenu mon attention à la lecture des passages de Où on va là ? : celui de « porosité » et celui de « fréquences ». Il me semble qu’ils soulignent très justement ce que la chorégraphe entend par états de corps, et comment elle en fait usage.

    Une impression marquante de l’extrait de Maybe Forever visionné était la fluctuation des corps entre différents états - de même que dans l’extrait précédent de Louise Lecavalier interprétant 'I' Is Memory, on avait souligné une sorte de double force opérant sur la danseuse, celle gravitationnelle, et une autre l’aimantant par le haut. Dans ce que nous avons vu de Maybe Forever, la séquence est dominée par la musique de Niko Hafkenscheid qui vient imposer un certain apaisement malgré des tonalités de complainte. Les corps paraissent par fulgurances se rattacher à cette trame sonore et s’en servir de repères tranquillisants, avant de glisser à nouveau dans des pertes de contrôle, comme submergés par un état d’instabilité intérieure.

    Quelqu’un a alors porté notre attention sur l’acception territoriale du terme « état », où peuvent advenir des événements, une histoire, des zones plus ou moins connues ou sombres, etc. Une avenue de réflexion bien intéressante. Le terme « état » fait pour ma part appel à l’idée de stabilité, ce qui est assez étrange car celle-ci ne perdure pas nécessairement ni n’est irréversible, mais elle est inscrite dans un moment précis. C’est pourquoi la temporalité originale de l’extrait que nous avons regardé m’a surprise. Comme l’a mentionné Fabienne, et plusieurs fois Katya dans son exposé de divers écrits, l’état de corps occupe cette dimension essentielle de présence à l’instant, « être au présent ». La danse de Meg Stuart et Philipp Gehmacher montrait pour moi ce que l’état peut avoir de fluctuant, oscillant entre l’hyper-sensorialité et un abandon (mais le terme est fort). Par instants, j’avais l’impression que le corps lâchait prise (formule de Caroline Gravel), à d’autres moments qu’il s’amarrait à la musique - et peut-être à l’aimantation de l’autre corps présent - pour trouver un répit.

    L’alternance de sentiments d’hyper-conscience, d’aiguisement sensoriel comme le décrivait Katya, avec des moments d’absence ou d’effacement créait ce temps différent de la performance, une autre forme de souffle ou de rythme cardiaque qui puise sa pulsation dans le moment présent, et que partage donc (souhaitons-le) les spectateurs eux aussi présents. Jean-Sébastien Lourdais employait cet autre terme d’« acceptation », qui fait selon moi le lien entre l’hyper-présence désirée et l’abandon qu’elle implique. Cela évoque d’autres caractéristiques du corps, sa disponibilité (article de Esse ?), son écoute, son ouverture, la dite porosité chez Stuart, qui lui permettent d’incarner et de se densifier d’états successifs, parfois de diverses temporalités (expérience, mémoire, échos).

    RépondreSupprimer
  3. (suite et fin)

    Cette disposition au présent n’oriente pas ma lecture vers des démarches d’improvisation, mais j’y vois un potentiel de variation, qui se mesurerait plutôt en termes d’intensité de performance ou d’égarement d’une fois à l’autre, comme on a pu le souligner pour La chambre anéchoïque par exemple. Pour revenir à ce que nous disions lundi, cette prise en compte du facteur « ambiance » est ce qui peut faire le lien avec les démarches de Mélanie Demers ou Frédérick Gravel. Personnellement, je cerne chez ces chorégraphes davantage la théâtralisation comme caractère dominant de leurs spectacles, ce qui n’empêche en rien un travail d’état de corps (positionnement fluctuant de l’interprète en réaction au public) sans qu’il en soit le moteur premier.

    Il m’est en revanche plus difficile de percevoir les états de corps, tels que définis par et chez Meg Stuart, dans les compositions de Daniel Léveillé. Le vocabulaire choisi à l’évocation de ses chorégraphies avait davantage à voir avec la formalisation, la construction, la perfection. La préexistence d’une réalité à atteindre, qui se situerait au-delà du moment présent. Que l’état de corps motive, dirige la performance ou qu’il soit un passage, l’autre distinction majeure que je perçois chez Daniel Léveillé (je n’ai jamais assisté à sa direction d’interprètes) est qu’il est moins question d’hyper-conscience que d’hyper-concentration. Les notions de porosité (assimilable à une perte de contrôle volontaire, à une certaine déconcentration, contamination du contexte) et de fréquences (fluctuations de présence, voire de lucidité) ne peuvent être admises de par leur caractère aléatoire, dangereux à un tel niveau technique et strict de partition. Cela n’est qu’une façon incomplète et subjective de voir, présenter et distinguer plusieurs démarches au travers desquelles la notion d’état de corps prend des significations et des applications divergentes.

    Ces remarques ne sont aucunement des vérités mais à replacer dans le contexte des discussions de notre premier atelier. Elles s’apparentent davantage à des pensées et perceptions dans l’immédiat des extraits de textes et de pièces que nous avons analysés. Il s’agit aussi de résonances tout à fait personnelles qu’ont suscité les mots employés par chacun ce soir-là. Merci à tous.

    (Promis je ferai mieux la prochaine fois pour retenir les prénoms et interventions de chacun.)

    RépondreSupprimer
  4. Voici la célèbre citation de Pina Bausch : “Je ne m'intéresse pas à la façon dont les gens bougent, mais à ce qui les meut”.

    Quant à Meg Stuart, elle écrit :
    "Nous sommes toujours dans un état.
    Peut-être l'état particulier dans lequel nous nous trouvons est-il plus clairement représenté par l'émotion que nous éprouvons - la joie, le regret, la honte.
    Ou l'état se manifeste en termes physiques, comme la sensation du vent sur notre visage, d'une oppression dans la poitrine, d'un mal de tête, d'une main dans la mienne.
    Ou en terme d'énergie, comme la sensation de fatigue, de détente ou de stimulation." (On va où là ? p. 20)

    Elle écrit aussi : "Un état émerge lorsque vous ne pensez plus à ce que vous faites en termes physiques".

    Meg Stuart s'intéresse à l'idée d'un "corps désintégré", fragmenté, pour "atteindre un certain paysage émotionnel", "montrer la fragilité et le doute dans le corps" et "accepter l'intimité sur scène." (p. 46-47)

    Chez Mélanie Demers et Frédérick Gravel, le travail d'état initie souvent la création. Par la suite, les chorégraphes organisent leurs différents tableaux à travers une dramaturgie plus ou moins théâtrale (notamment par l'ajout des costumes, du "personnage" ou encore l'apport de la musique). En revanche, chez des chorégraphes comme Benoît Lachambre et Jean-Sébastien Lourdais, ou encore Manuel Roque et Dana Michel, il me semble que le travail d'état est d'autant plus assumé et présenté comme tel, construisant alors ce que j'appelle une "dramaturgie du sensible" (qui s'ancre dans l'expérience sensorielle du "ici et maintenant" et à travers une conscience quasi-organique du mouvement).

    Merci à tous pour cette première séance si stimulante.

    Merci Marion pour cette synthèse de nos discussions passionnés !

    RépondreSupprimer
  5. Les filles, vous m'impressionnez! Merci pour tout ce contenu riche.

    J'en profite pour vous rappeler que si vous souhaitez qu'on publie vos textes directement sous forme d'articles (oui, c'est possible!), simplement m'envoyer vos textes à cmuroni@quebecdanse.org.

    Ce blogue est notre espace de discussion à tous!

    RépondreSupprimer
  6. C'est passionnant!!! Merci pour ce blogue et ces échanges!!!

    RépondreSupprimer

Merci, votre commentaire a bien été pris en compte.